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Les princes ne méritent pas
Qu'un astre annoncent leur trépas
Plutôt que la mort d'un autre homme :
Leur corps ne vaut pas une pomme
De plus qu'un corps de charretier,
Qu'un corps de clerc ou d'écuyer,
Je les fais pareillement nus,
Forts ou faibles, gros ou menus,
Tous égaux sans exception
Par leur humaine condition.
Fortune donne le restant,
Qui ne saurait durer qu'un temps,
Et ses biens à son plaisir donne,
Sans faire acception de personne,
Et tout reprend et reprendra
Sitôt que bon lui semblera.
Si quelqu'un, me contredisant,
Et de sa race se targuant,
Vient dire que le gentilhomme,
Puisqu'ainsi le peuple les nomme,
Est de meilleure condition
Par son sang et son extraction
Que ceux qui la terre cultivent

Et du labeur de leurs mains vivent,
Je réponds que nul n'est racé
S'il n'est aux vertus exercé,
Nul vilain, sauf par ses défauts
Qui le font arrogant et sot.
Noblesse c'est coeur bien placé,
Car gentillesse de lignée
N'est que gentillesse de rien
Si un grand coeur ne s'y adjoint.
Il faut donc imiter au mieux
Les faits d'armes de ses aïeux
Qui avaient conquis leur noblesse
Par leurs hauts faits et leurs prouesses;
Mais, quand de ce monde ils passèrent,
Toutes leurs vertus emportèrent,
Laissant derrière eux leur avoir :
C'est tout ce qu'il reste à leurs hoirs;
Rien d'autre, hors l'avoir, n'est leur,
Ni gentillesse, ni valeur,
A moins qu'à noblesse ils n'accèdent
Par sens ou vertu qu'ils possèdent.

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Jean CLOPINEL dit Jean de MEUNG,
(Meung sur Loire, 1240 - 1305) in
"Le Roman De La Rose", seconde partie.